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Cinq ans après le Rana Plaza, des avancées sociales à prolonger

Publié le 24/04/2018

Alors que l’on commémore le drame du Rana Plaza (1138 morts) au Bangladesh, Kalpona Akter, directrice d’une ONG bengladaise de défense des droits humains au travail, fait le point sur les avancées sociales qu’a permis d’élaborer l’accord arrivat à échéance en mai. Il faut le renouveler. Le collectif Éthique sur l’étiquette appelle à une marche commémorative ce soir, à Paris. 

Triste commémoration en ce 24 avril : il y a cinq ans jour pour jour l’usine du Rana Plaza à Dacca au Bangladesh s’effondrait tuant au passage 1 138 salariés et en blessant 2 500 autres. Cette usine textile abritait des ateliers qui travaillaient pour de grandes multinationales du secteur de l’habillement. La semaine passée le 16 avril à l’invitation du collectif Ethique sur l’étiquette (dont la CFDT est membre), Kalpona Akter était à Paris pour donner une conférence sur les conséquences de ce qu’elle qualifie de « désastre humain ».

Kalpona Akter est aujourd’hui directrice de BCWS, une ONG qui défend les droits humains au travail dans son pays. Elle a commencé à travailler à 12 ans dans une usine textile. À 14 ans, elle y a créé un syndicat et a été licenciée puis blacklistée à l’âge de 16 ans. Depuis, elle est connue dans le monde entier pour son action en faveur des salariés du secteur textile dans son pays.

« L’accord pour la sécurisation des usines textile signé par près de 250 entreprises et multinationales du secteur et des organisations syndicales internationales et locales a amélioré la situation, commence-t-elle, ceci dit, s’il avait été signé avant, on aurait pu éviter ce drame. Des travailleurs du Rana Plaza avaient signalé des fissures inquiétantes dans les murs du bâtiment. »

1 600 usines inspectées sur 4 500

L’accord a permis de procéder à 130 000 rénovations (portes incendie, sécurité électrique, fissures, etc.) dans près de 1 600 usines de confection inspectées sur les 4 500 que compte le pays. Il autorise la création d’un comité des travailleurs, sorte de CHSCT, qui a un rôle d’alerte, de vérification des travaux et peut saisir la justice si ces derniers ne sont pas conformes aux exigences. Un site  (http://bangladeshaccord.org/) répertorie les usines et les marques qui ont fait l’objet de vérification et de travaux ainsi que celles qui ne les font pas. Mais au total, deux millions de salariés sont couverts par l’accord sur quatre qui travaillent dans l’industrie textile au Bengladesh. Entre 2005 et 2013, il y a eu des centaines de morts chaque année dans ces usines. En 2016, aucun si on excepte 13 décès dus à l’explosion d’une chaudière. Hélas, l’accord ne prévoit pas la vérification des chaudières.

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« L’accord expire au mois de mai, explique la militante, et à ce jour, seules une centaines de marques ont renouvelé leur signature. C’est pourquoi nous sommes en campagne aujourd’hui et réclamons le soutien des consommateurs européens et des organisations syndicales pour mettre la pression sur les employeurs et le gouvernement du Bengladesh. Ce dernier prétend qu’il est aujourd’hui suffisamment puissant pour se passer de l’accord et faire appliquer seul les mesures prévues. Mais c’est un mensonge. » De fait, il dit avoir inspecté les 2 500 usines qui ne sont pas entrés dans l’accord sans jamais en fournir la preuve. De plus, un tiers de députés siégeant au parlement du Bengladesh sont propriétaires d’usine ! Et le secteur textile rapporte à lui seul 80 % des devises du pays.

Une répression qui perdure

Autre point d’attention dans ce secteur d’activités, les salaires. Ils étaient en moyenne de 38 $/mois au moment du drame du Rana Plaza. Ils ont connu une progression de 70 % et avoisinent aujourd’hui 60 €/mois. « Pour autant, cela reste des salaires de misère pour une famille normale », affirme Kalpona Akter. Son ONG avec les organisations syndicales ont lancé une campagne en faveur d’un salaire minimum à 200 $/mois… qui fait hurler le patronat.

De plus les cadences de travail sont toujours aussi soutenues. « La fast fashion qui conduit les enseignes à changer leur collection de vêtements deux fois par mois ont des répercussions en bout de chaînes. Cela impose des rythmes de travail très élevés », explique Kalpona Akter.

Une première réponse avec la loi sur le devoir de vigilance

Le drame du Rana Plaza a conduit le gouvernement à assouplir les restrictions à la création de syndicats. « Depuis 2013, plus de 500 syndicats se sont créés alors qu’il n’y en avait que 150 auparavant, observe Kalpona Akter, cependant nombre de ces organisations sont des syndicats jaunes ou soumis au patronat. Seuls une cinquantaine d’accords collectifs ont été signés et mis en œuvre. » Le harcèlement, les violences, le licenciement, l’emprisonnement, le blacklistage des militants se poursuit dans de nombreux cas allant parfois jusqu’à l’assassinat. « C’est pourquoi il est essentiel que vous nous apportiez votre soutien pour faire face à cette répression. »

La France a apporté une réponse avec la loi sur le devoir de vigilance adoptée en février 2017, une loi pour laquelle la CFDT avec Ethique sur l’étiquette et d’autres ONG se sont battues pour en agrandir le périmètre. Aujourd’hui, elle contraint les entreprises de plus 5 000 salariés à mettre en œuvre un plan de vigilance avec leurs sous-traitants, fournisseurs, filiales pour prévenir les atteintes aux droits humains et environnementaux. Un premier pas qui en appelle en d’autres et notamment ce soir à Paris où le collectif Ethique sur l'étiquette appelle à une marche commémorative à partir de 17 heures, au 36 rue Beaurepaire dans Xe arrondissement. Elle sera suivie d'une soirée festive de 18 à 22 h à la maison des économies solidaires et innovantes, 6 quai de Seine à Paris XIXe. 

dblain@cfdt.fr